Lanfranco Dettori

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Lanfranco Dettori (1970)

 

À une époque où les champions de Formule 1 deviennent des stars de Netflix, quand les footballeurs ont leurs avatars sur les consoles de jeux de millions de personnes dans le monde, il est un jockey – peut-être le seul – dont la vie pourrait devenir une série à rebondissements ou un roman. Frankie Dettori n’est pas seulement le meilleur pilote de pur-sang au monde, c’est un personnage de film. Il a une gueule, il fait le show, c’est un crack, il est hyper sympa… et il est italien.

 

Pour évoquer la carrière de Lanfranco Dettori, né en 1970 à Milan, il faut d’abord s’intéresser à l’histoire des courses italiennes en Europe, et notamment en Angleterre, où il va devenir une star. Qui aurait pu imaginer, au début du XXe siècle, qu’un transalpin puisse un jour briller au pays des courses, quand le Derby Italiano n’est créé qu’en 1884, plus d’un siècle après le Jockey Club britannique (1751). Si les Anglais raflent tout et sont évidemment les principaux pourvoyeurs de champions équins et humains, ils sont pourtant quelques Italiens à tenter leur chance au Royaume-Uni.

 

Le chevalier Odoardo Ginistrelli va ouvrir la voie romaine en 1908. S’il est d’abord gentiment considéré comme un fou, celui qui est à la fois propriétaire, éleveur et entraîneur (à Newmarket) de la pouliche Signorinetta fait rapidement taire les moqueurs, remportant le Derby et les Oaks à quarante-huit heures d’intervalles. Certes, il va falloir attendre un peu avant de revoir l’Italie au plus haut niveau de l’autre côté de la Manche, mais ça va venir…

 

C’est un certain Federico Tesio qui va de nouveau faire briller “il tricolore” en terre britannique. Lui aussi porte toutes les casquettes, ce qui reste assez rare au plus haut niveau. Celui qui va régner sur le turf italien durant quatre décennies parvient à vendre son champion Nearco, pour 60.000 livres, à l’éleveur anglais Martin Benson. Pour la petite histoire, Nearco a engendré bon nombre d’étalons officiant aux quatre coins du monde. Il est notamment le père de Nasrullah et Nearctic, qui a donné Northern Dancer, dont le sang est aujourd’hui présent dans une majorité de pedigrees. L’héritage de Tesio va d’ailleurs considérablement influencer les croisements mondiaux, avec des théories novatrices pour l’époque. Il est même l’auteur en 1947 du Puro-Sangue – Animale da Esperimento, traduit en anglais en 1958 sous le titre Breeding the Racehorse.

 

Bref, si les costumes sont moins cintrés et que le panama remplace le chapeau melon, les transalpins se font une place parmi les sportsmen anglo-saxons. Les élèves de Federico Tesio vont briller au plus haut niveau, comme Tenerani en 1948, qui s’impose dans les Queen Elizabeth Stakes. Son champion de rejeton, Ribot, remporte les King George VI and Queen Elizabeth Stakes en 1956. Les propriétaires italiens ne craignent plus de tenter l’aventure, mais leurs chevaux sont encore montés par les locaux. Ainsi, les couleurs de Carlo Vittadini, défendues par son champion Grundy, vont briller sur le dos de Pat Eddery…

 

Il faut attendre les années 70 pour que cela change. Si les chevaux de Carlo d’Alessio sont entraînés par le maître Henry Cecil, le propriétaire romain exige que ses pensionnaires soient montés par un certain Gianfranco Dettori. Il remporte les 2.000 Guinées deux années de suite, en 1975 avec Bolkonski (devant Grundy), et en 1976 avec Wollow ! Si d’autres patronymes italiens ont déjà fait la Une, comme celui de l’excellent Enrico Camici, lauréat de trois Prix de l’Arc de Triomphe en France (dont deux avec Ribot), le nom de Dettori va faire la Une quelques décennies. Quand Gianfranco prend sa retraite en 1992, il a 51 ans et cumule treize titres de meilleur jockey dans son pays. Son fils, Lanfranco, monte déjà en Angleterre depuis 1985. L’ancien apprenti, chez lui à Milan, d’Aldivino Botti, est parti parfaire sa formation chez Luca Cumani, autre Italien installé à Newmarket. En 1986, première victoire à Turin, avant d’obtenir sa licence pour monter au Royaume-Uni. Le 9 juin 1987, Dettori fils gagne à Goodwood, en selle sur Lizzy Hare. Il engrange huit succès lors de cette première saison anglaise, vingt-deux l’année suivante. Il va vite, très vite, et ne tarde pas à se faire remarquer dans les vestiaires, par sa gouaille, son humour et, surtout, son talent. En 1989, Lanfranco gagne soixante-quinze courses. Il est sacré meilleur apprenti et la presse ne s’y trompe pas. Le jeune homme a du style, une belle gueule et sait y faire à cheval. N’a-t-il pas cumulé sept hat-tricks (coups de trois) dans l’année ? Se faire un prénom ne lui pose visiblement pas de problème. Il sera “Frankie” !

 

Dès 1990, à dix-neuf ans, Frankie se sent pousser des ailes, mais ce ne sont pas encore celles d’un ange. Il remporte, le 29 septembre à Ascot, les deux premiers Groupes 1 de sa carrière. Avec cent quarante et une victoires dans l’année, il est le premier jockey de moins de vingt ans à franchir la barre des cent succès en une saison. Il détrône un certain… Lester Piggot, légende dont le record tenait depuis trente-cinq ans.

 

Certains voient déjà en lui la future étoile du turf, mais Dettori veut apprendre encore et s’améliorer. Il va passer ses hivers en Californie, où sa manière de monter va encore changer, s’affiner. S’il pique un peu du style américain, avec une assiette plus plate, aérodynamique, les bras très allongés lorsqu’il pousse son partenaire jusqu’au poteau, son tempérament à cheval reste latin. “Quand j’ai commencé je montais à l’italienne, comme un signe, avec une cravache longue comme celle d’un dresseur de lions. Quand je suis arrivé en Angleterre, j’ai beaucoup étudié Steve Cauthen (tête de liste des jockeys en 1984, 1985 et 1987), puis j’ai passé quatre hivers en Californie. J’ai voulu adapter leur style, mais la monte américaine ne marche pas en Europe. Quand on est bien caché derrière l’encolure, avec les rênes très courtes, le cheval se met la plupart du temps à tirer. En Amérique, sur les petites pistes et les parcours de vitesse, ça marche, mais en Angleterre, les chevaux s’usent sur le mors. Je suis donc plutôt gentil au début du parcours, je cherche à relaxer mon cheval… avant de devenir un peu plus américain à la fin. J’ai mélangé les deux styles.” Son retour aux balances aussi, devient de plus en plus expansif. Nous y reviendrons…

 

Durant les quelques années suivantes, Frankie Dettori poursuit son ascension, apprend, gagne de grandes courses, comme le Jockey Club, en 1992, avec Polytain, qui lui offrira la Gold Cup d’Ascot l’année suivante. Mais c’est en 1994 qu’il devient jockey indépendant. Les frères Maktoum font alors appel à lui sous la bannière Godolphin. Il s’impose pour leurs couleurs avec Balanchine, à Epsom dans les Oaks et au Curragh dans le Derby. Barathea lui permet de briller outre-Atlantique dans le Breeders’ Cup Mile. Il est sacré meilleur jockey d’Angleterre avec 233 victoires pour 1.317 montes ! C’est surtout la première fois qu’un Européen continental occupe la plus haute marche du podium dans les îles Britanniques…

 

Les ailes sont désormais déployées. Lanfranco “Frankie” Dettori fait le show et épingle les Groupes 1 avec un appétit insatiable. Chaque grand succès est un spectacle sur la piste, mais aussi aux balances, où il régale le public de son fameux “saut de l’ange”. Il rentre, victorieux, acclamé. Et il en redemande, jette des baisers, puis se propulse depuis ses étriers, dans les airs, les bras écartés. L’affection rendue est merveilleuse, les photographes l’adorent. On n’a jamais vu ça.

 

Travailler pour Godolphin est un peu comme représenter une écurie de Formule 1. C’est l’équivalent de Ferrari ou Williams. Pas de droit à l’erreur, tout est calculé, mis en place pour gagner, quel que soit le pays, la piste. Défendre la casaque bleue est d’ailleurs assimilé comme tel par le pilote italien : “Le métier qui ressemble le plus au nôtre est celui de pilote de Formule 1. Il y a le travail d’équipe avant une course et il y a aussi le risque. Le galop et la Formule 1 sont les seuls sports dans lesquels une ambulance suit le déroulement des opérations. Je trouve que le pilote a quand même un avantage : une voiture reste toujours une voiture, alors que les animaux ont toujours un caractère différent.”

 

1995, nouvel équivalent de la Cravache d’or en Grande-Bretagne, malgré des déplacements de plus en plus fréquents. Lammtarra lui permet de gagner un premier Prix de l’Arc de Triomphe et les plus grandes courses vont désormais s’enchaîner à un rythme effréné. Si le Royaume-Uni reste son camp de base, direction l’Irlande ou la France, bien sûr, où rien ne lui résiste, mais aussi l’Italie ou les Émirats, logique, les États-Unis, surtout pour la Breeders’ Cup, l’Allemagne, Hongkong, le Japon, Singapour, le Canada. En 2000, alors qu’il doit se rendre à Goodwood, l’homme pressé prend un petit avion en compagnie de son ami jockey Ray Cochrane (qui deviendra son agent). Le Cessna se crashe au décollage et il est sorti des flammes, les chevilles fracturées, par son collègue irlandais, qui n’aura pas le temps de sauver le pilote. S’il a pensé un instant à arrêter sa carrière, c’est chez lui en Sardaigne que Frankie va se remettre et décider de ne rien lâcher. “Je suis parti dans ma maison, à Santa Anna Arresi, un petit village de 1.200 habitants où je me sens aimé. Les gens m’ont vraiment soutenu. En Sardaigne, je n’ai ni téléphone, ni fax, ni télévision !”

 

Et c’est reparti pour un tour de piste, même si Dettori décide d’accorder plus de temps à sa famille. La vie est courte et ce métier à risque prend de la place, parfois toute la place. Malgré ses obligations pour Godolphin, il parviendra tout de même à glaner un troisième titre de meilleur jockey d’Angleterre en 2004, battant son rival et ami Kieren Fallon, inapprochable depuis plusieurs années. En 2007, trente ans après le début de sa carrière, il remporte le Derby d’Epsom, le Prix du Jockey Club et le Prix de Diane. C’est inédit. Les records, Frankie les collectionne comme les trophées. Il est le seul à avoir remporté six fois le Prix de l’Arc de Triomphe. Plus de vingt ans séparent sa première victoire avec Lammtarra, en 1995, et ses deux derniers succès avec la championne Enable en 2017 et 2018. La longévité n’émousse pas son talent, malgré des hauts et des bas, comme lorsqu’il est suspendu six mois pour usage de cocaïne.

 

Si vous allez à Ascot, c’est sa statue qui vous accueille, comme s’il avait vécu il y a deux siècles et que ses succès restaient dans les mémoires historiques de vieux grimoires au papier jauni. Mais non, il est encore là, jeune retraité qui ne l’est pas resté longtemps. Si les courses anglaises datent du début du XVIIIe siècle, personne avant lui n’avait réalisé l’exploit de remporter les sept épreuves d’une même réunion. C’était le 28 septembre 1996 et certains bookmakers ne s’en sont pas remis : 2.500/1 pour la prouesse. La firme William Hill affirme qu’un petit parieur du nord de l’Angleterre a gagné plus de 500.000 livres pour une mise d’environ 50 pence. Dettori, à la fin de la réunion, déclare, hilare “il n’y a plus de courses ? Dommage, je commence à être chaud !” Ce grand sept aurait coûté plus de 20 millions de livres aux bookmakers… Dettori a même été reçu quelques jours plus tard par le Premier ministre John Major, au 10 Downing Street.

 

En 2023, avec plus de 3.000 victoires au compteur, dont près de 300 Groupes 1 qui vont s’aligner comme de petits bâtons, Frankie Dettori annonce vouloir raccrocher les bottes. Il a 52 ans, mais décide finalement quelques mois plus tard de poursuivre sa carrière en Californie. Ce métier, il l’a dans le sang, malgré ses nombreuses vies parallèles. En grand passionné de gastronomie (et excellent cuistot), l’Italien a même créé une marque de pizzas, avec succès, et de glaces, sans succès. “Les Anglais préfèrent boire du thé que de manger des gelato, c’est sûrement dû à l’humidité.” Quoi qu’il en soit, la légende vivante a bien fait d’abandonner son idée de jeunesse de gérer une station-service, “un bon job, car le prix du pétrole était très élevé.” La joie de vivre, de gagner, qui éclaire le visage de l’Italien ne peut tromper. Assurément, pour lui, “être jockey est bien le plus beau métier du monde.”

 

 

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