Alain de Royer Dupré

Alain de Royer Dupré (1944)
Dans l’édition du journal Sud Ouest du 27 novembre 1979, Alain de Royer Dupré est consacré “Nemrod de la Sarthe”. En effet, “qu’il s’agisse d’un maiden à Senonnes-Pouancé ou du handicap le mieux doté de la Fédération du Sud-Ouest, rien ne lui échappe”. La légende est en marche et l’entraîneur comparé au premier roi biblique arrive dans la capitale du cheval, Chantilly, deux ans seulement après cet article.
La vie d’Alain de Royer Dupré est intimement mêlée à celle du cheval. Il a grandi dans un haras, monte à cheval depuis qu’il est petit et a été cavalier de concours avant d’être le célèbre entraîneur que l’on connaît.
Alain de Royer Dupré est né le 24 septembre 1944. Il grandit dans le Haras de Saint-Lô, en Normandie. Son père Jacques en est le sous-directeur depuis la fin de la guerre et prend ensuite la tête des Haras nationaux. Le but de l’institution centenaire est alors de proposer un étalonnage public dans le dessein d’amélioration de la race et aussi pour servir de point d’appui aux initiatives privées. Le Haras connaît alors un tournant sportif sous la direction de Jacques de Royer Dupré, qui importe du sang neuf avec des pur-sang irlandais. Bon sang ne saurait mentir…
Ne trouvant pas sa voie dans les études générales qu’il entame, Alain de Royer Dupré se réoriente vers des études agricoles dans la Manche. Dans ce cadre, il fait un stage de deux mois au haras du Mesnil, dirigé par Élisabeth Couturié. Il y est embauché et y reste neuf ans.
Initié au monde des pur-sang, il choisit définitivement cette voie en 1972, s’installant comme entraîneur public dans un centre d’entraînement privé de la Sarthe, à Savigny-l’Évêque. S’il entraîne des pur-sang, ceux-ci sont destinés à l’obstacle : “J’ai fait avec ce que j’avais”, affirme-t-il plus tard. Mais son cœur balance pour les courses de plat. Grâce à l’aide apportée par ses jockeys du matin René Lecomte, Maurice Bouland et Yves Lalleman, il peut enfin se consacrer à la discipline reine des courses hippiques. Et il excelle rapidement dans l’Ouest de la France.
Sa réussite en province attire les propriétaires de la capitale : le baron de Rothschild et l’Aga Khan en premier lieu. Conseillé par ce dernier, il quitte la Sarthe en 1981 pour Chantilly, épicentre du monde hippique. Yves Saint-Martin, première monte de la casaque rouge et verte parfait l’éducation hippique du jeune entraîneur. Puis, on lui propose de prendre la succession de François Mathet au centre d’Aiglemont à Chantilly, en 1983. C’est le début de la gloire d’un entraîneur qui remporte son premier Groupe 1 la même année avec Sharaya dans le Prix Vermeille. L’Ouest, Chantilly et Longchamp ne lui suffisent déjà plus et il gagne une Breeders’ Cup en 1984 avec Lashkari, monté par Saint-Martin. Si les plus grandes courses commencent à tomber dans son escarcelle, il lui faudra attendre deux décennies pour remporter le graal, avec le Prix de l’Arc de Triomphe. Le gris Dalakhani, monté par Christophe Soumillon, lui offre la première corde de son Arc en 2003. À l’Agence France Presse, l’entraîneur se contente d’un mot pour décrire son poulain : “Exceptionnel”. Ceux qui ont la chance d’assister à l’entraînement des pur-sang le matin en sa compagnie le savent, ça n’est pas si simple. L’homme est pointilleux, observateur du moindre détail, très axé sur l’équilibre de l’athlète cheval. Rien n’est laissé au hasard, et “l’exceptionnel” ne suffit pas toujours pour remporter le monument des courses internationales.
Il qualifie sa deuxième pouliche d’Arc comme dotée de “pouvoirs surnaturels”. Il s’agit du phénomène Zarkava. Issue de la souche Aga Khan de Petite Étoile, elle remporte en 2008 la Poule d’Essai des Pouliches, le Prix de Diane et le Prix Vermeille, avant de terminer l’année invaincue dans le Prix de l’Arc de Triomphe. S’il ne fallait décrire qu’une seule course de Zarkava, ce serait sa victoire dans le Vermeille. La demoiselle commence à avoir son caractère, notamment dans les stalles de départ. Ce jour-là, elle s’élance avec plusieurs dizaines de longueurs de retard. Pour n’importe quel autre cheval, ce serait un drame. Pas pour elle. Sa fin de course reste un moment arrêté dans l’histoire des courses. La pouliche restera dans les mémoires des passionnés, car c’est une crack, car elle défend des couleurs appréciées du public, et qu’elle est entraînée par Royer Dupré. Toujours enclin à parler à la presse, à expliquer, dans la victoire ou la défaite, le metteur au point sait transmettre et partager.
En cinquante ans d’exercice, Alain de Royer Dupré a pu mettre au point une méthode d’entraînement. Celle-ci est fondée sur le fait de laisser le temps aux chevaux de monter en forme jusqu’aux classiques. Son Altesse l’Aga Khan, à qui il doit l’immense majorité de ses victoires de rang, dit de lui “qu’il donne au temps la faculté d’agir sur les chevaux”.
Alain de Royer Dupré est un homme qui fait consensus. Michel Morice parle dans Le Figaro du fait qu’il est un “sorcier” des chevaux, quand dans L’Humanité, P. Rosso voit en lui “un entraîneur qui a su gravir les échelons sans cesser d’apprendre”. S’il est un homme qui apprend, il est aussi un maître d’apprentissage. Il a formé les entraîneurs Stéphane Wattel, Mikel Delzangles et Francis-Henri Graffard aussi bien que les jockeys Christophe Soumillon et Marie Vélon.
Ses 93 Groupes 1 et son investissement dans la filière hippique ont, aux yeux du ministère de l’Agriculture, justifié sa promotion au rang de chevalier de la Légion d’honneur, dont il fut décoré le 3 juillet 2023 sur l’hippodrome de Longchamp. La cérémonie s’est faite en présence d’Yves Saint-Martin, Gérald Mossé et Christophe Soumillon, trois jockeys qui ont marqué sa carrière.

