Cirrus des Aigles
Cirrus des Aigles
Il porte bien son nom. Ce cheval est un véritable rapace de son temps : un aigle noble, qui mérite son appellation tant par sa robe brun foncé que par sa vitesse et son agilité.
La France a eu l’honneur de voir ce cheval de course pur-sang anglais naître dans ses contrées, d’un père répondant au nom d’Even Top, cheval au palmarès peu reconnu mais tout de même talentueux : il fut deuxième des 2.000 Guinées et troisième des Lockinge Stakes en 1997. Finalement, en 2001, Even Top se révèle être un familier des obstacles en Irlande. Quant à sa mère, Taille de Guêpe, elle n’a pas couru. Cirrus des Aigles allait alors être lui-même l’encre de son histoire.
À caractère fougueux et survolté, aucune course possible… Cela lui valut d’être castré dès ses deux ans, le laissant aux portes de la plupart des courses classiques qui lui auraient permis de faire partie des plus grands. Mais un beau jour de l’année 2009, c’est à Cagnes-sur-Mer qu’il s’inscrit parmi les plus beaux cracks de sa génération. Le pur-sang français s’élance sur les 1.600 mètres du Prix des Maures, aux couleurs de la casaque grise rayée de rouge de Jean-Claude et Alain Dupouy qui le possèdent et celui de Madame Barande-Barbe qui l’entraîne. Il devait faire honneur aux promesses effectuées sur les pistes de Chantilly sur lesquelles il passe des heures à s’entraîner. Il s’élance sur ces pistes de Cagnes qu’il connaît puisqu’il courait déjà sept jours plus tôt pour le Prix du Suquet où il s’était placé deuxième. Il s’élance et tient bon. Le voilà finalement qui s’impose en maître, devant l’irlandais Rain of Melody .
Ainsi s’ouvre le véritable conte de Cirrus des Aigles, que Corine Barande-Barde surnomme son “prince charmant”. L’année de ses trois ans signera ses premières grandes victoires : parmi les courses réservées aux poulains entiers et hongres, il s’impose à l’hippodrome de Lonchamp dans les Prix de Nanterre, Fasquel, du Prince d’orange, du Conseil de Paris et bien d’autres encore. Il est à Lonchamp comme à la maison. Puis en août 2009, c’est l’apothéose : il foule enfin le sable de l’arène du Lion-d’Angers. Ses propriétaires et son entraîneur voient en lui comme une promesse d’avenir : une vivacité et une persévérance qui sauront le mener loin dans l’histoire du galop français. De Groupe 2 en Groupe 3, il fait ses preuves, lentement mais sûrement. Et c’est le 22 mai 2011 qu’il se dévoile au grand public de Longchamp pour le Prix d’Ispahan. Premier Groupe 1, premier défi. Il se place deuxième et maintient sa performance le mois suivant à Saint-Cloud au moment du Grand Prix.
Si, en France, il devient de plus en plus populaire, c’est à l’étranger que sa carrière va prendre une nouvelle dimension. Il se fait égérie du talent hippique français. Il court à Hongkong qu’il connaît bien : en décembre 2009, il était cinquième sur les 2.400 mètres, mais prend sa revanche quelques années après, en 2013, où il se place troisième sur les 2.000 mètres. L’Asie ne sera jamais son terrain préféré. La Grande-Bretagne l’aura vu performer à Ascot le 15 octobre 2011 pour les Champion Stakes, dans lesquels il est vainqueur avec pour pilote Christophe Soumillon. Premier Groupe 1 en poche. Il s’envole pour les Émirats pour participer à la Dubai Sheema Classic et grâce à sa résistance face au favori St Nicolas Abbey, il s’impose au grand final. Le 29 avril 2012 signe son retour à Longchamp dans le Prix Ganay où il écrase l’ensemble des chevaux partis sur le turf parisien. L’Angleterre le réclame et il fait face au célèbre Frankel, invaincu en douze sorties. Ce n’est pas une victoire pour Cirrus des Aigles mais une seconde place après de longues minutes de combat acharné. Il représente l’adversaire coriace, celui dont il faut se méfier.
Les années de ses trois et quatre ans correspondent à la construction de son nom et à la découverte d’un remarquable guerrier. Ses luttes frénétiques marquent son allure d’athlète et quelques blessures le forcent à rester au repos. Le poids des années se fait également ressentir… On se demande s’il parviendra à faire perdurer ses éclats de zèle. Voilà un doute qu’il balaye dans la Coupe de Maisons- Laffitte en août 2013, puis de nouveau dans le Prix Dollar en octobre de cette même année. Plus fort que jamais, Cirrus des Aigles a offert au public certains des plus beaux records de l’histoire des courses de ses cinq à neuf ans. Son tour de force dans la Dubai Sheema Classic en mars 2013 n’était qu’un échauffement avant sa réapparition dans le Prix Ganay.
Le 27 avril 2014, il affronte Trêve, la lauréate du Qatar Prix de l’Arc de Triomphe, jusqu’alors invaincue. C’est un match tant attendu, la crème de ce sport, une lutte qui restera historique. Christophe Soumillon et Cirrus sont comme Bonnie and Clyde. Le jockey belge part confiant après un canter éblouissant, porteur d’une belle promesse. Au début de la course, Belle de Crécy domine tandis que Cirrus des Aigles reste troisième, Trêve patiente. Le combat s’engage à 400 mètres du poteau. Il se défend comme un lion et parvient à gagner d’une encolure, laissant Trêve s’approcher de lui, pour l’écraser à 50 mètres du poteau à coups de grandes foulées agiles. Cirrus des Aigles est le tout premier vainqueur de cette saison de courses. Il défie toutes les lois et tout ce que l’on pourrait dire de lui. “Il brasse la notion d’un galop des aigles”, clame Yvon Lelimousin. Pour Corine Barande-Barbe, il s’agit d’un jour de gloire : “C’est un cheval vraiment fabuleux et je crois qu’il est moins fatigué d’avoir gagné cette course contre la meilleure jument du monde que moi d’avoir couru pour le rejoindre. C’est un cheval phénoménal et je crois qu’aujourd’hui, c’est le meilleur cheval du monde”, confie-t-elle à Equidia. La défaite est dure à encaisser pour Trêve et son entourage, qui attend Cirrus des Aigles sur les pistes dans l’année qui suit, pour prendre sa revanche. C’est l’annonce de ses victoires prochaines dans le Prix d’Ispahan puis dans la Coronation Cup d’Epsom en juin 2014. Une blessure suspend sa croisade et il doit attendre octobre pour courir de nouveau dans le Prix Dollar, course qu’il a déjà remportée trois fois. Cirrus en impose sur la piste grâce à sa légendaire combattivité, mais n’obtiendra que la cinquième place.
L’année 2015 est notamment marquée par le décès d’Yves Lelimousin qui l’avait élevé de ses blanches mains et qui manquera sa troisième victoire dans le Prix Ganay le 3 mai, mais aussi sa dernière victoire. Alors âgé de dix ans, son entraîneur décide à contrecœur de mettre fin à la carrière du champion. Cirrus des Aigles a obtenu 7.312.699 € de gains, signé soixante-sept courses dont vingt-deux victoires parmi lesquelles sept de Groupe 1, un record en Europe et un palmarès phénoménal pour un cheval comme lui qui avait tout défié. Il a mené une carrière exceptionnelle, d’une incroyable longévité, et ses duels épiques contre quelques-uns des plus grands champions de l’histoire des courses comme Frankel, Goldikova ou encore Trêve, ont doré son blason.
Promesse tenue par ce cheval qui n’est pas né dans une robe pourpre mais qui se tenait prêt pour le lever du rideau. Pour le public, c’est un crack, un des meilleurs de sa génération.
Avec lui, c’était la crème de la crème, des courses disputées à la hauteur de ce que demande ce sport. Il avait le courage d’un David face aux Goliaths de son temps et la force des braves. “Fighting Cirrus”, comme l’avaient surnommé les Anglais. Vent de panique dans les gradins : quand Cirrus des Aigles s’élançait, rien ne pouvait l’arrêter…
