François Mathet

François Mathet (1908 – 1983)
En 1950, une expression surgit dans les colonnes des chroniqueurs hippiques pour décrire François Mathet. Ce n’est pas un entraîneur, c’est un “maître-entraîneur”, dixit Sud-Ouest et Le populaire de Paris. Il ne se contente pas d’amener ses chevaux avec succès sur les champs de courses, mais forme ceux qui les montent. Si Sud-Ouest cite des noms plutôt oubliés, comme Michel Quemet et Marcel Maschio, il insiste également sur le nom d’une autre légende. Yves Saint-Martin fut également formé par le maître-entraîneur…
Dans l’imaginaire du jeune François Mathet, né le 21 mai 1908 à Vesoul (Haute Saône), le cheval est pourtant un instrument pour l’armée et non un compétiteur. Ceux qui les montent sont donc des officiers de cavalerie, comme son père. Pour suivre ses pas, François monte au manège du Panthéon lors de ses études au collège Stanislas.
Le turf arrive pourtant au galop dans la vie de François Mathet, puisqu’il n’a que seize ans lorsqu’il se rend pour la première fois sur un champ de courses à Longchamp. Nous sommes le jeudi 22 mai 1924 (déjà les Jeuxdi de Longchamp). Si les chroniqueurs de la réunion y voient la pluie qui a gâché la fête, le “coup de trois” du jockey Jennings suffit à émerveiller le lycéen.
Comme son père, il intègre l’école militaire de Saint-Cyr, après une prépa au Collège Stanislas. Comme Jennings, il devient cavalier. En effet, une fois consacré officier, en 1928, il participe à des courses de steeple-chase réservées aux amateurs issus des rangs de l’armée, les “militaries”. La première tentative de François Mathet a lieu dans le Prix de la Société des Steeple-Chases Militaires. Et elle ne sourit pas au débutant. Se disputant sur l’hippodrome de Château-Coin, en Anjou, le dimanche 7 juillet 1929, le jockey néophyte enroule le ruban de la lice autour de son pied et ne peut, dans de telles circonstances, défendre les chances de son compagnon d’infortune Durandalle qui termine cinquième sur cinq. Cette bévue augure bien peu de l’avenir. Dans les années 1930, le cavalier de plus en plus habile, désormais gentleman-rider, finit cinq fois tête de liste de sa catégorie, notamment quatre années consécutives de 1934 à 1937. Il remporte à ce titre quarante-quatre victoires en obstacles, une course gagnée sur deux montées, et sept en plat en 1936. Déjà un record.
La guerre sonne le glas de son avenir de cavalier. Après avoir échappé in extremis au cul-de-sac de Dunkerque en mai 40, il est fait prisonnier dans la région de Vézelay lors de la débâcle de 1940. Il échappe aux Oflags, prend une bicyclette dans une ferme, revêt un bleu de travail et parcourra des centaines de kilomètres avant de rejoindre ce qui reste de son régiment dans le Puy-de-Dôme. Désormais sous les ordres de l’armée d’armistice, il est envoyé au Levant en 1941 combattre les Alliés. Il sera décoré de la Légion d’Honneur et cité à trois reprises dans l’ordre de l’armée pour les campagnes menées en 1940 et 1941. En désaccord avec sa hiérarchie qui ne lui accorde pas le poste demandé au Maroc, il démissionne en février 1942 pour ne plus se consacrer qu’à la chose hippique.
L’idée d’exercer professionnellement dans le monde des courses hippiques germe chez lui depuis les années 1930. Cité dans la biographie de Theresa Révay, un rapport de sa hiérarchie de 1936 mentionne que “les courses où [Mathet] réussit remarquablement ne sont pas un but pour un officier de sa valeur”. Le monde des courses représente un idéal face au carcan militaire. L’ouvrage précité fait mention d’une lettre à sa mère dans laquelle l’officier décrit le monde des courses comme “un pays où tout va bien, où tous les gens sont riches et ont l’air heureux”. En 1942, il n’est plus un étranger dans le pays de ses rêves : le voilà embauché comme assistant chez l’entraîneur mansonnien Maurice d’Okhuysen.
Désormais familier de la mise au point des pur-sang, sa licence lui est accordée par la Société d’Encouragement lorsque, au débotté, il doit remplacer Maurice d’Okhuysen qui est arrêté par la Gestapo au printemps 1944. Celui-ci ne tarde cependant pas à revenir et, le statut d’assistant ne convenant pas à ses ambitions, François Mathet fait désormais cavalier seul, et perd alors tout le confort de ses précédentes activités. Il conduit lui-même ses pensionnaires sur les hippodromes et fait face à un manque criant de ressources. Ses résultats éloquents pour un effectif particulièrement réduit, destiné au plat et à l’obstacle, le font remarquer par l’homme d’affaires François Dupré. Il propose en 1947 à Mathet d’entraîner ses pur-sang, sous réserve qu’il déménage ses troupes (dont quelques-unes de chez d’Okhuysen) à Chantilly. Aussitôt installé dans l’Oise, il remporte des victoires de rang et notamment son premier Groupe 1 en 1948 à Longchamp avec Bel Amour dans le Prix d’Ispahan. Le poulain fait cependant pâle figure en comparaison d’une comète qui arrive chez l’entraîneur en 1948, Tantième.
Fils de Deux pour Cent, lui-même issu de la poulinière Dix pour Cent, Tantième est un fleuron de l’élevage Dupré. Il remporte neuf victoires de Groupe 1 en trois saisons. En France, le poulain est l’auteur d’un doublé dans le Prix de l’Arc de Triomphe, en 1950 et 1951, et que seuls trois compétiteurs ont déjà réalisé. Un “crack hors-série”, écrit Clairville dans L’Aurore, après sa première victoire dans l’Arc. Au Royaume-Uni, Tantième se fait aussi l’artisan d’une victoire dans la Coronation Cup en 1951.
François Mathet grimpe désormais sur les premières marches du podium des entraîneurs français. Ses boxes classiques attirent alors les casaques les plus prestigieuses comme Suzy Volterra en 1954 ou encore le prince Aga Khan en 1964 lorsqu’il se sépare d’Alec Head (son père, Aly Khan, est mort en mai 1960). Si certains noms prestigieux, ceux d’Alain Delon ou de Gabrielle Chanel ne sont pas couronnés de grands succès, pour Suzy Volterra, François Mathet remporte entre autres le Derby d’Epsom en 1955 avec Phil Drake et pour l’Aga Khan le Prix de l’Arc de Triomphe avec Akiyda en 1982.
En septembre 1976, ayant pris sous sa responsabilité l’ensemble de l’effectif de la famille Rothschild, François Mathet exercera son talent visionnaire en sauvant d’une issue fatale Crystal Palace (1974), un poulain jugé trop difficile et particulièrement réfractaire aux pistes d’entraînement. Neuf mois plus tard, il réussit avec ce cheval ce que la casaque bleue toque jaune espérait depuis 87 ans, gagner le Prix du Jockey Club.
Ces résultats exceptionnels se voient pourtant ébranlés par des enquêtes ouvertes pour dopage concernant les victoires d’Abaco en 1962 dans le Prix de la Jonchère, de Relko dans le Derby d’Epsom 1963 et de Vayrann dans les Champion Stakes en 1981. Si l’affaire Abaco ne fut jamais résolue, celles de Relko et de Vayrann, retentissantes, virent François Mathet se défendre et ployer le Jockey Club anglais, forcé de revoir les méthodes d’analyse et les seuils de production de l’estrane 3,17 diol. S’agissant d’un processus biochimique naturel chez les poulains entiers, l’entraîneur, les propriétaires et les chevaux sont blanchis.
Revenons-en à la cour Mathet. Cette constance lui permet d’être à la tête d’un effectif qui, des années 1950 aux années 1970, oscille entre cent et cent cinquante pensionnaires. Il est alors nécessaire pour les entraîneurs de disposer d’un “jockey maison”, habile sur les pistes et fidèle à l’écurie. François Mathet le trouve en la personne d’Yves Saint-Martin. Arrivé par hasard à l’écurie en 1955, il est recommandé par la mère d’un employé, Madame Rouillès, qui dit de lui qu’il est un “brave petit gars”. Le “petit gars” a tout juste quatorze ans, l’âge légal pour être apprenti. Saint-Martin reste à l’écurie jusqu’en 1970. Ensemble, ils remportent plus de mille victoires (plus d’un quart des victoires de l’entraîneur), dont celle de cette année-là, celle du Prix de l’Arc de Triomphe avec Sassafras, un cadeau d’adieu mutuel. Le divorce est en effet consommé au sein du tandem. Le jockey ne veut plus être éternellement l’élève d’un maître d’apprentissage qu’il juge trop autoritaire. Il lui préfère un contrat de première monte pour l’écurie Wildenstein. Les trois expressions mises en exergue dans l’article du journal Week-End qui rend compte de leur mésentente suffisent à exprimer la rupture : “Confiance limitée, éternel apprenti, colère noire”… Ils se retrouvent cependant temporairement en 1976, avec une victoire dans le Grand Prix de Paris pour Nelson Bunker Hunt et son pur-sang Exceller.
Les rêves de grandeur de François Mathet sont ainsi exaucés, tels qu’il les formulait à sa mère en 1936. Il possède une propriété à Gouvieux, dans laquelle il façonne un jardin à la française, un manoir dans le Cher, mais aussi le haras de Bourgfontaine, une ancienne chartreuse du XIVème dans l’Aisne. Il domine le turf européen – il a plus de 300 pensionnaires sous sa responsabilité en 1977 – tandis que les produits de son élevage, qu’il ne fait jamais courir contre les chevaux de ses propriétaires, sont reconnaissables. Leurs noms sont précédés de Dom ou Marie.
Le 4 octobre 1982, malgré des résultats les années précédentes en demi-teinte par rapport aux années d’opulence, il remporte son quatrième Prix de l’Arc de Triomphe, la première pour le prince Aga Khan, avec Akiyda monté par Yves Saint-Martin qui fait de nouveau partie de la maison depuis 1978. “L’équilibre des magnifiques”, expression que leur accorde Theresa Révay, auteure de la biographie La Course parfaite, est rétabli une dernière fois. Le 11 janvier 1983, François Mathet est emporté par une hémorragie cérébrale. Yves Saint-Martin, alors en Amérique, prend le premier avion pour assister à ses funérailles. Une course de niveau Listed-Race est baptisée en son honneur à l’hippodrome de Saint-Cloud.
Tête de liste au nombre des victoire depuis 1957 jusqu’à sa mort, la légende du “Meilleur entraîneur du cinquantenaire” tel qu’élu à titre posthume par le Gala des Courses de 1999 est entrée dans l’Histoire du sport hippique.