Maurice Zilber

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Maurice Zilber (1920 – 2008)

 

L’histoire de Maurice Zilber prend racine en Orient, dans la ville du Caire, au bord du fleuve le plus long du monde, le Nil. Né le 2 septembre 1920, Maurice Zilber est le fils d’un influent homme d’affaires hongrois et d’une mère turque, très connue comme créatrice de mode, dans une Égypte encore sous influence britannique. Il grandit dans la société aisée du Caire où son père, expert en thé, devient agent général pour la compagnie Lipton. Très tôt, Maurice est attiré par les courses, sa famille habitant en face d’un hippodrome. Il découvre sa passion pour les chevaux au cours de vacances familiales sur l’île de Rhodes où il se souvient : “Tout enfant, j’avais été fasciné par un cheval noir sorti d’un manège.” Ainsi naissent les vocations…

 

Maurice Zilber arrive en France une première fois, dans l’espoir de préparer l’école vétérinaire d’Alfort, mais la Seconde Guerre le surprend. Contraint de rentrer, son attirance pour le cheval et les courses le conduisent chez l’entraîneur anglais John-Jack Jenkins, monstre sacré des hippodromes du Moyen-Orient, pour qui il officie comme assistant pendant plusieurs années. Il décroche alors sa licence d’entraîneur. Souhaitant retrouver ses terres britanniques, Jenkins le recommande auprès de ses propriétaires, mais seul Gaby Smaga confie ses chevaux au très jeune Maurice. En quittant l’Égypte, Jenkins lui laisse donc quelques-uns de ses pensionnaires, lui mettant le pied à l’étrier.

 

Zilber commence alors sa carrière d’entraîneur et devient rapidement tête de liste dans son Égypte natale durant une douzaine d’années, totalisant plus de huit cents gagnants dans les années 50. Cependant, l’avènement de Nasser et la nationalisation progressive de l’économie égyptienne le forcent à quitter son pays. Un déchirement profond pour ce jeune homme de vingt-quatre ans, alors numéro un. Il se souvient : “Avec l’avènement de Nasser, tout a été nationalisé. J’ai tout perdu.”

 

Il débarque à Athènes avec 20 livres en poche dans l’idée de rejoindre ses frères Oscar et Richard aux États-Unis, en passant par la France. Il arrive donc dans les années 60 avec comme unique capital sa paire de jumelles, prêt à repartir de zéro. Dans l’attente de son visa pour l’Amérique, il se décide à jouer aux courses pour gagner sa vie. Cette expérience se révélera précieuse lors de sa carrière d’entraîneur : “J’ai un atout particulier que me valent mes antécédents de turfiste. Je fais mieux que d’autres le papier des courses.”

 

Malgré sa situation, son sens de l’observation, sa mémoire indéfectible et son inébranlable confiance en lui le mènent vers une réussite qui ne passe pas inaperçue. Rapidement, Maurice d’Okhuysen, entraîneur à Maisons-Laffitte, lui offre l’opportunité de devenir son assistant. Il le présente à la famille Wildenstein, désireuse de bâtir un empire de premier rang et de confier ses chevaux à un nouvel entraîneur. Daniel Wildenstein décide de le contacter en personne. Lors de leur premier entretien, rue la Boétie, dans le célèbre hôtel particulier des Wildenstein, Zilber est en retard de 30 minutes. Il se souvient : “Je m’en suis excusé, arguant que je ne connaissais pas encore très bien Paris, puis Monsieur Wildenstein m’a posé des questions sur les chevaux.” L’objectif du grand collectionneur de tableaux est simple : bâtir en France une écurie qui soit la première. “En êtes-vous capable ?” Ce dernier, sans jamais douter de lui, réplique qu’il faut liquider tous les chevaux et recommencer de zéro. Zilber obtient, après une seconde rencontre, carte blanche.

 

Il a fait face aux événements qui lui sont tombés dessus, a connu la précarité et se retrouve finalement à entraîner pour l’un des plus grands propriétaires français de l’époque. S’installant à Chantilly en 1962, Zilber commence par acheter des yearlings aux ventes de Keeneland, afin de ramener de la vitesse et de l’exotisme chez les Bleus. C’est le début d’une grande aventure qui faillit, pourtant, s’arrêter dès les premières semaines. Daniel Wildenstein, depuis les États-Unis, reçoit des appels affirmant qu’il a engagé non pas un entraîneur, mais un joueur professionnel. Mécontent de la situation, il clarifie fermement les choses. Blessé, Zilber offre sa démission, tentant un coup de poker. “Continuez toutefois à vous occuper des chevaux quelque temps, car il est toujours difficile de trouver un entraîneur en pleine saison”, fut la réponse de Wildenstein. Zilber prépare alors trois chevaux pour une réunion, espérant sortir par la grande porte. Sous les yeux de leur propriétaire revenu en France, les trois triomphent, scellant le fructueux partenariat entre les deux hommes.

 

Par leur collaboration, Zilber se construit un palmarès classique en seulement quelques années. Entre 1968 et 1971, Felicio remporte le Grand Prix de Saint-Cloud, Yelapa, le Prix Jean-Luc Lagardère, et Don II ainsi que Faraway Son s’illustrent en remportant le Prix du Moulin de Longchamp. “Je participe à l’avènement de la grande période des Bleus, comme on monte une collection”, déclare-t-il. Le tandem Zilber-Wildenstein finira par se séparer après neuf années d’entente et de succès. “J’ai travaillé neuf ans pour Daniel Wildenstein et cela a été une période inoubliable. Notre rupture est principalement due à l’usure, comme dans un couple. C’était un propriétaire de rêve”, annonce Zilber à la suite de leur séparation. African Sky, Ashmore, Lianga et surtout la championne Allez France, qui se trouvent alors dans ses boxes, sont envoyés chez Albert Klimscha.

 

Les années 70 sont marquées par l’arrivée de nouveaux propriétaires, dont Bruce McNall et le prince Khalid Abdullah. Sans transition, l’Américain Nelson Bunker Hunt, sur les conseils de Freddy Head, se présente et demande à Zilber d’entraîner pour lui. Dans le lot qu’il reçoit se trouve Dahlia, la grande rivale d’Allez France. Cette championne a remporté quinze de ses quarante-huit courses dans cinq pays différents. En 1974, Maurice Zilber réalise un coup de maître dont tout le monde se souvient. Juste après la victoire de Dahlia dans les Oaks d’Irlande, il décide de la déclarer partante dans les King George VI and Queen Elizabeth Stakes dès la semaine suivante, sur le très connu gazon d’Ascot. Une pouliche de trois ans contre les vieux, et ceci une semaine après les Oaks ! Le pari est osé. “Mon entraîneur est devenu fou”, confie Nelson Bunker Hunt au directeur de France Galop, Louis Romanet. Hunt donne finalement son accord, non sans menacer : “Si elle est battue, j’emmène tous mes chevaux loin de toi !” Hunt assiste au succès de sa pouliche de chez lui, laissant Zilber converser avec la Reine suivant la victoire phénoménale de Dahlia, qui, en quelques foulées, balaie ses adversaires dans la phase finale. Même la Reine ne manque pas de noter que “votre pouliche a reculé les limites de l’exploit.” Dahlia eut une carrière extraordinaire, remportant une nouvelle fois les King George VI and Queen Elizabeth Stakes l’année suivante et ne trouvant qu’Allez France pour la battre dans le Prix de Diane. Elle se retire de la compétition après quinze victoires, dont onze de Groupe 1.

 

La capacité exceptionnelle de Zilber à repérer et former des champions est incomparable. Il enchaîne les victoires. Nobiliary remporte le Saint-Alary avant de réaliser l’exploit insensé de terminer deuxième du Derby d’Epsom contre les mâles, pas loin derrière Grundy. Personne n’y aurait cru, pas même Yves Saint-Martin, qui doit admettre que s’il avait mieux connu la jument, il aurait gagné. L’année suivante, en 1976, Empery répare l’injustice en remportant le Derby d’Epsom pour la casaque de Nelson Bunker Hunt. Leur duo connaît un autre succès avec Youth, qui triomphe en grand champion dans le Prix du Jockey Club, sous la monte de Freddy Head. L’écurie du Texan brille de mille feux.

 

Homme des défis sportifs, Zilber ne recule devant rien pour triompher par-delà les frontières. Ses succès retentissants dans le Washington DC International avec Dahlia, Nobiliary, Youth et Argument en sont la preuve éclatante. Aimé de tous ceux qui l’ont connu, Maurice Zilber inspire une nouvelle génération d’entraîneurs, prouvant que triompher à l’international pouvait devenir une réalité pour les Français. Freddy Head admet notamment qu’“Il a joué un rôle très important comme ambassadeur des courses françaises. Il a vraiment été un des premiers à aller autant à l’étranger.”

 

Maurice Zilber est un “maître” éminemment respecté, créant une ambiance extraordinaire dans son écurie, où il est adoré de son personnel. Formateur exceptionnel, il saura transmettre à de jeunes recrues comme David Smaga, Corinne Barbe, Claude Béniada ou Dominique Prady. Dans les années 80, il met en selle l’une des premières femmes jockeys, Caroline Lee, apportant un soutien inestimable aux femmes dans un milieu alors dominé par les hommes. Dévoué aux principes et aux défis de la compétition hippique, Maurice Zilber témoigne d’une grande admiration pour le travail de ses équipes. Il affirme notamment au sujet d’Yves Saint-Martin que “l’avoir à l’écurie, c’était la moitié du travail de fait”. 

 

La moisson de succès continue. Tropicaro triomphe dans le Prix Marcel Boussac, Argument s’illustre dans le Ganay, Dahar dans le Lupin et Treizième ainsi que Femme Élite brillent dans le Prix Jean-Luc Lagardère. En juin 2001, Prove est son dernier vainqueur de Groupe, sous les couleurs du prince Khalid Abdullah. Bien que son écurie se soit progressivement réduite, Maurice Zilber continue d’entraîner avec passion, jusqu’à rendre sa licence à l’âge de 85 ans. Ses derniers chevaux rejoignent alors les boxes de David Smaga, son fils spirituel, assurant ainsi la continuité de son précieux héritage.

 

Réputé pour son style d’entraînement unique, le “Grand Maurice” combine durant toute sa carrière une compréhension profonde de la psychologie des chevaux avec des techniques innovantes. Son sens aigu de l’observation, capable de détecter les moindres détails dans le comportement de ses chevaux, lui permet d’adapter ses méthodes d’entraînement en conséquence, maximisant ainsi le potentiel de chacun. “Je n’ai jamais eu plus de cent pensionnaires. Quand vous êtes à la tête d’un effectif trop important, vous ne pouvez pas suivre chacun de vos pensionnaires et cela vous oblige à faire confiance à quelqu’un. Ce n’est pas la solution : un entraîneur doit tout voir avec son œil et avoir de la mémoire.” Convaincu de l’importance de faire marcher les chevaux le matin pour les muscler, il passe du temps dans les cafés de Chantilly pour obliger ses équipes à longuement marcher les chevaux en l’attendant.

 

Juif égyptien de naissance et Français d’adoption, Maurice Zilber n’a qu’une patrie, celle des courses. Sur les hippodromes, il aura marqué les esprits par sa grande discrétion, fuyant les remises de prix et limitant les déclarations publiques, trouvant vulgaire de se mettre en avant. Il évita même de parler à chaud aux jockeys après une course, préférant l’observation silencieuse. Zilber est l’un des derniers entraîneurs français à avoir sellé un gagnant du Derby d’Epsom, Empery, en 1976. “Je ne l’explique pas. Nous avons en France les meilleurs chevaux européens, pour ne pas dire du monde. Il nous manque l’audace.”

 

Maître de l’entraînement, conteur d’exception, homme de paris au grand cœur, Maurice Zilber décède à l’âge de 88 ans, avec la même discrétion qui aura marqué sa vie. Fort de sa famille et de son cercle amical, il fut bien souvent un bienfaiteur pour ses proches, comme le confirme David Smaga : “C’est ça Zilber, un homme hyper généreux qui se débrouille pour ses protégés”.